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Écrire et lire à voix haute : pourquoi c’est essentiel

30 avril 2021

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Bien souvent, on demande aux élèves qui sont en train d’apprendre à lire et à écrire de lire « dans leur tête » et d’écrire « en silence ». Cette injonction est, à mon avis, une grave erreur. Bien au contraire, il convient d’inciter les apprentis lecteurs et les apprentis scripteurs à dire, à voix haute, tout ce qu’ils sont en train de lire et d’écrire.

Comment lisent les lecteurs experts

Lorsque nous, adultes bons lecteurs, voyons un mot, nous n’avons plus besoin de le lire à voix haute, encore moins de le déchiffrer syllabe à syllabe, pour avoir accès à son sens. Nous regardons le mot et, sans faire le moindre effort, la signification de ce mot apparaît à notre esprit. C’est ce que l’on appelle la « voie directe », l’accès immédiat au sens. Stanislas Dehaene, chercheur en neurosciences, explique bien en quoi les deux voies de lecture – indirecte, qui déchiffre syllabe à syllabe, et directe, qui donne accès au sens sans décortiquer le mot – sont complémentaires. Il nuance ainsi : « Les modèles à deux voies sous-estiment vraisemblablement la complexité et la divergence des voies neuronales de la lecture. Toutefois, la séparation fondamentale entre une voie de conversion graphèmes-phonèmes et une voie d’accès au sens demeure, en première approximation, une distinction essentielle » (1).

Pourtant, même chez un lecteur expert, la voie directe peut être prise en défaut. Si vous êtes en train de lire un texte compliqué comportant de longues phrases alambiquées, il n’est pas impossible que vous soyez obligé, comme par exemple en lisant la phrase que vous avez actuellement sous les yeux, qui est volontairement particulièrement longue et complexe dans sa structure, de revenir en arrière pour avoir accès au sens complet et au rythme correct de la phrase, voire d’oraliser tout ou partie de ladite phrase et de chercher où peut bien en être le verbe principal.

Si vous n’êtes pas horticulteur et que vous lisez un texte parlant de la scutellaire à casque ou du symplocarpe fétide, il n’est pas non plus impossible que vous ralentissiez à la lecture pour éviter d’inverser deux lettres dans ces noms inhabituels. Il en va bien entendu de même si vous lisez un article de chimie sur le dichlorodiphényltrichloroéthane, plus connu sous son petit nom de DDT. Soit vous « sauterez » le mot sans le lire, soit vous aurez besoin de le prononcer syllabe à syllabe. Et la chance que vous le mémorisiez à première lecture est faible.

Si toutefois vous avez décidé d’apprendre le nom complet du DDT, l’une des techniques que vous pourrez utiliser est le fait de copier le mot plusieurs fois, en le prononçant à voix haute pour le fixer dans votre mémoire. Vous noterez bien que, par contre, le fait d’épeler la longue série de 31 lettres qui composent ce mot ne vous serait d’aucune aide en la matière !

Une autre technique de mémorisation efficace est d’essayer de comprendre comment est construit ce mot. Si on le décompose en « 2 chloro, 2 phényl, 3 chloro, éthane », on n’aura plus à retenir que cette formule et éventuellement noter qu’il faut un y à phényl, qui n’est pas un terme connu du non-chimiste. D’un seul coup, ce mot terriblement long et déroutant devient possible à restituer relativement facilement.

Comment aider les lecteurs débutants

Pour se mettre dans la peau d’un apprenti lecteur, il faut bien se rendre compte que pour lui, tous les mots sont nouveaux à lire et toutes les phrases ont besoin d’être entendues pour être comprises. C’est en déchiffrant et oralisant souvent les mêmes mots qu’il finira par les automatiser et que son cerveau les identifiera de manière globale, sans faire le détail des lettres. En d’autres termes, la fameuse « voie directe » (lecture globale) va progressivement s’activer, par automatisation de la « voie indirecte » (déchiffrage).

Cela a plusieurs conséquences. La première, c’est qu’il faut faire lire chaque élève quotidiennement, et lui faire lire souvent les mêmes mots – mais surtout pas les mêmes phrases, ce qui risquerait de l’inciter à réciter par cœur au lieu de lire vraiment. Les petits albums en sons simples, qui reprennent le même vocabulaire de manière répétitive, sont très utiles pour consolider l’apprentissage de la lecture (2).

La seconde, c’est qu’il faut lire à voix haute, puisque le circuit du mot doit être complet : il « entre » dans le cerveau par les yeux, est converti en sons qui sortent par la bouche, puis entre à nouveau par l’oreille, qui active le circuit de compréhension et l’image mentale. Ce sont ces étapes qui vont progressivement s’automatiser pour ne plus en faire qu’une : lire. Mais pour que cette automatisation se fasse correctement, il faut que le circuit soit effectivement complet : si on se contente de valider la « lecture » alors que l’élève a seulement oralisé le mot ou la phrase, sans avoir vérifié qu’il s’est écouté lire et qu’il a compris ce qu’il lisait, on risque d’avoir des déconvenues. Lire à haute voix est donc indispensable mais pas suffisant en soi. Après que l’élève a lu chaque phrase, il faut la lui faire reformuler pour vérifier sa compréhension totale.

Écrire et lire à voix haute : pourquoi c’est essentiel

Avant d’écrire, il faut donc lire ce qu’on va écrire et le comprendre. Il faut ensuite prêter attention à l’orthographe des mots et, là aussi, en automatiser progressivement le plus grand nombre possible.

Pour aider à la mémorisation de l’orthographe d’un mot, on propose souvent de le copier plusieurs fois. Cette technique n’est efficace qu’à deux conditions : il faut d’abord bien observer l’orthographe dudit mot et repérer les difficultés éventuelles. Je suis toujours surprise de voir dans les cahiers de mes élèves des listes de mots à apprendre par cœur qui comportent des termes comme « ami », « ordinateur », « livre » ou « table ». Ces mots s’écrivent exactement comme ils se prononcent ! Pourquoi surcharger la mémoire des enfants en leur faisant « apprendre » des mots qu’ils peuvent tout simplement écrire de manière régulière ? Pire, on les leur fait parfois épeler. Qui peut mémoriser « o-ére-dé-i-éne-a-té-e-u-ère » ? Par contre, si on veut apprendre à écrire le mot « longtemps », un instant de réflexion s’impose. Pourquoi un g muet en plein milieu d’un mot ? Le mot peut se mémoriser en faisant remarquer qu’il s’agit des mots « long » et « temps » qui ont été collés l’un à l’autre. Ainsi, on ne surcharge pas la mémoire inutilement, mais on entre dans la logique de la langue. Et là encore, il faut que l’enfant puisse dire à voix haute « j’écris long, puis j’écris temps », pour bien s’approprier le processus.

La deuxième condition pour que la copie du mot soit efficace est de synchroniser écriture et oralisation du mot. On dit ce qu’on écrit au fur et à mesure qu’on l’écrit. Ainsi, les différentes tâches qu’on accomplit simultanément : lire le mot, repérer les lettres qui le composent, l’écrire, le dire, l’écouter – s’articulent pour devenir une seule tâche complexe, automatisée, qui va lier dans le cerveau le geste d’écriture avec le son du mot et son apparence.

« On ne peut réaliser en même temps que des tâches automatisées qui ne demandent quasiment plus de concentration, grâce à des heures de répétition et d’apprentissage. » (3) explique Jean-Philippe Lachaux, spécialiste de l’attention.

Pour que ces heures de répétition et d’apprentissage soient le plus efficaces possible, il faut qu’elles soient régulières (faire écrire les enfants deux heures de temps en temps est bien moins efficace que de les faire écrire tous les jours trente minutes). Pour que les causes éventuelles de distraction soient le plus limitées possible, la parole est là encore un outil puissant. En effet, si on écrit en parlant, quatre de nos cinq sens sont mobilisés : la vue, puisque l’on regarde ce qu’on écrit, le goût, puisque notre bouche prononce les mots (et les « goûte » au passage), l’ouïe, puisque notre oreille écoute ce que l’on dit, le toucher, puisque nos doigts écrivent les mots. Seul l’odorat est laissé en-dehors de la boucle !

A l’inverse, si on se contente d’écrire en pensant les mots dans sa tête, on peut très facilement être distrait par une pensée ou un son…

Vous pouvez faire l’expérience sur vous-même : essayez de chanter une chanson un peu longue, que vous connaissez bien, dans votre tête, sans bouger les lèvres. Puis essayez de chanter la même chanson à voix haute. Vous vous rendrez très probablement compte que la seconde option est plus efficace et vous évite de vous laisser distraire le temps d’une chanson !

Tout est langage

Finalement, que fait-on quand on écrit ? On transcrit de la parole avec nos doigts pour en faire une trace sur du papier. Et quand on lit, on décode cette trace, pour la retransformer en parole que notre cerveau peut comprendre. Il s’agit toujours de langage !

Imaginer enseigner le langage écrit à un enfant sans passer par la parole n’a aucun sens. On le prive de l’accès à la compréhension de la langue, qui se fait avant tout par le son. Alors, quand vous apprenez à lire et à écrire à vos élèves, insistez bien sur ce point crucial : on lit en parlant, et on écrit en parlant ! Vous aurez des classes qui bruissent, mais vous aurez des élèves qui sauront vraiment lire et écrire.

Laurence Pierson pour le site Apili

Enseignante, autrice et graphopédagogue

www.ecritureparis.fr

« Bien écrire et aimer écrire »

https://www.mdi-editions.com/ecriture/bien-ecrire-et-aimer-ecrire-9782223113903.html

(1) Stanilas Dehaene, Les Neurones de la lecture, 2007 ed. Odile Jacob, p. 71.

(2) J’ai écrit quelques albums de ce type, dans la collection « Vive », chez Samir Editeur. Mais il en existe beaucoup d’autres. Vous trouverez un excellent récapitulatif sur le blog de « Maitresseuh », ici : http://www.maitresseuh.fr/recapitulatif-livres-ecrits-avec-des-sons-simples-uniquement-a135345668

(3) Jean-Philippe Lachaux, L’attention, ça s’apprend, éd. MDI 2020, p. 181.

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